Quel réacteur à sels fondus ?

La fission liquide présente tellement d’avantages que la question n’est pas si on devrait la développer, mais quel concept il faut retenir.

Quel RSF

Ca ressemble à une nouvelle industrie naissante, non ?

Produire de l’énergie nucléaire avec un combustible liquide, au lieu des technologies actuelles qui utilisent toutes des combustibles solides, nous permet d’envisager l’aube d’une nouvelle ère pour la fission nucléaire, avec une technologie de rupture plus sûre, moins chère, fiable, durable et propre – faisons la fusion du cœur AVANT de le mettre dans le réacteur !

Il est important de comprendre que la fission liquide est une famille de technologies, leur difference étant dans l’état de la matière de leur combustible. En modifiant des facteurs tels que choix et chimie des sels fondus, architecture, géométrie et taille du réacteur, vitesse des neutrons, traitement des déchets, refroidissement etc., il est possible, comme pour les combustibles solides, d’imaginer des dizaines de concepts différents.

Branches technologiques

Quelques exemples de branches technologiques de l’énergie nucléaire. La fission liquide est l’ensemble des branches vertes.

 Alors quelle branche verte faut-il développer ?

Grande question…

Dans la communauté internationale de la fission liquide, chaque personne ou groupe apporte une réponse un peu différente à cette question, en fonction de ses valeurs, sa compréhension des exigences et ses idées sur les solutions possibles.

Cependant, dans la façon de penser à ces systèmes d’énergie du futur, on distingue aujourd’hui deux grandes écoles, qu’on appelera ici l’école « Académique » et l’école « Start-up ».

L’école Académique est en grande partie issue des objectifs fixés pour les concepts développés dans le cadre du Forum International Génération 4 :

  • améliorer la sûreté nucléaire,
  • améliorer la résistance à la prolifération – en brûlant les stocks de plutonium,
  • minimiser les déchets – en recyclant et transmutant les actinides issus des réactions nucléaires,
  • optimiser l’utilisation des ressources naturelles,
  • diminuer les coûts de construction et d’exploitation des réacteurs.

Ce sont des objectifs pour satisfaire les clients de l’énergie, et plus largement pour refaire de l’énergie nucléaire une technologie socialement acceptable. Et dans ce domaine, la France peut se réjouir d’être un vrai spécialiste, avec le réacteur MSFR développé par le CNRS à Grenoble, qui a été sélectionné par le Forum GenIV en tant qu’hypothèse centrale pour le concept de réacteur à sels fondus au niveau international. La Commission Européenne a souligné l’importance de cet effort avec l’allocation au mois de février 2015 de plus de €3 millions pour approfondir les aspects de sûreté de ce concept, avec le programme SAMOFAR.

Albert Einstein a dit :

« Tout devrait être rendu aussi simple que possible,

mais pas plus simple. »

Un problème avec l’école Académique est justement que les objectifs sont un peu trop simples. Pour atteindre les objectifs, tout à fait louables, d’optimiser des facteurs tels que durabilité et déchets, il y a une tendance à orienter les choix technologiques sur des solutions qui n’existent pas encore et qui demandent un effort considerable de recherche et développement.

Ecole académique

Avec la technologie EPR en ligne médiane, où se situent les objectifs pour l’école « Académique » ?

La technologie nucléaire est difficile à financer – un développement sérieux de la fission liquide coûtera des centaines de millions d’euros (voire quelques milliards). Pour un investisseur, que ce soit un gouvernement ou une entreprise privée :

  • Effort de R&D important = Risque technologique
  • Risque technologique = délai de commercialisation & coût de développement importants

Risque, temps, coût. La minimisation de ces trois est l’objectif de tout investissseur. Un nouveau produit ou technologie obtient le financement nécessaire à son développement quand un équilibre est trouvé qui satisfait aux exigences de ses clients ET de ses investisseurs.

L’école « Start-up » de la fission liquide voit les choses différemment. Ici, la question est plutôt : Quel est le meilleur réacteur à sels fondus qu’on peut concevoir maintenant ? Avec :

  • Uniquement des technologies éprouvées et disponibles sur étagère
  • L’architecture et la conception la plus simple possible
  • Pas de nouveaux matériaux
  • Un cycle de combustible connu
  • Investissements chiffrés et maîtrisés
  • Production en série, modularité et fabrication des modules en usine
  • Plusieurs marchés cibles (chaleur industrielle, dessalement, hydrogène, carburants de synthèse…), pas uniquement l’électricité

La question étant posée différemment, la réponse est forcément différente aussi. Ce type de technologie serait moins performant en termes de durabilité et déchets (tout en restant bien supérieur à une technologie existante de réacteur à eau pressurisée comme un EPR), mais avec moins de risque technologique et une maîtrise des investissements serait bien plus intéressant pour un investisseur.

Ecole start-up

Alors, à quelle école faut-il donner raison ? Quelle approche doit recevoir le financement important qu’il faut injecter dans la fission liquide ?

La réponse est : toutes les deux. Elles sont interdépendantes et complémentaires.

  • Les nouvelles start-ups ont besoin du monde académique en tant que partenaire pour leur recherche, pour former leur personnel et pour construire et communiquer la vision long-terme.
  • Le monde académique a besoin des start-ups pour orienter les études économiques, et pour faire le retour d’expérience de la conception, construction, validation et opération des réacteurs.

La fission liquide doit sortir du laboratoire pour rivaliser et s’imposer au centre des marchés d’énergie – concurrencer en matière de coûts et de commodité avec le charbon et le gaz naturel. La planète ne peut pas attendre 30 ans avant sa commercialisation. Mais la fission liquide doit également montrer à un public sceptique de l’énergie nucléaire une voie vers une énergie réellement durable et propre, son acceptabilité sociale étant essentielle à son succès.

Ce n’est pas chose facile que de démarrer une nouvelle voie dans la technologie de la fission nucléaire. Cela représente un changement de paradigme, un investissement important, un grand col à traverser… Mais dans la vallée de l’autre côté de ce col, l’herbe est bien plus verte.

4 réflexions au sujet de « Quel réacteur à sels fondus ? »

  1. Qu’est-ce qu’un milliard d’investissements aux regards des avantages d’une technologie comme celle-ci?
    Elle n’est pas non plus sorti de nulle part et il serait « drôle » de savoir combien a coûté l’EPR ou une prévision de son coût final en extrapolant sur base des dépassements de budgets actuels.

    « Et dans ce domaine, la France peut se réjouir d’être un vrai spécialiste, avec le réacteur MSFR développé par le CNRS à Grenoble ». Ah bon? Avec une équipe de chercheurs qui se comptent sur les doigts d’une main et des budgets de combien? Svp un peu de sérieux!

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    • Quelques milliards pour une source d’énergie fiable, moins chère, sure, durable et propre, c’est certainement l’affaire du siècle !
      En fait à Grenoble ils sont 7, donc 2 mains sont nécessaires 😉 mais vous avez raison, les €3m de SAMOFAR (sur 4 ans et impliquant 6 partenaires scientifiques européens) n’iront pas loin. Par contre c’est déjà 3 fois plus que le projet européen précédent EVOL (3 ans, €1m), donc on progresse !
      Et il s’agit de gens très sérieux, et très motivés par le succès de cette technologie.
      Comment pouvez-vous aider cette communauté à grandir, comment pouvez-vous aider à faire sortir ce message si important ?

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      • Je ne doute pas du sérieux et de la passion qui anime les équipes de ce projet, il vaut mieux l’être en effet et ne pas être cynique de leur côté…

        C’est 3x plus qu’EVOL en terme de budget, mais ça reste tellement décevant de la part de la France, sachant d’où elle arrive dans ce domaine, ses stocks et sa « spécialisation » autour du retraitement des déchets (les notres et ceux d’autres pays)!

        Il est idiot de comparer la France à la Chine, mais les ordres de grandeurs que ce pays met dans ses projets de recherche autour du Thorium, est beaucoup plus significatif et l’ambition n’est que de « reproduire » le dernier projet d’Oak Ridge, de ce que j’en ai compris.

        Comment pouvons-nous aider cette communauté à grandir?

        Je dirais, en compilant régulièrement toutes les informations courantes sur l’évolution des autres pays/projets et en harcelant les hommes politiques ET les ONG anti-nucléaires, pour les faire réagir! Simple à dire, plus difficile à lancer.

        L’exemple du débat suscité en GB devrait cependant nous inspirer!

        Nous savons bien pourquoi il sera très difficile de faire réagir les « autorités » françaises sur ces questions, étant donné les enjeux des contrats financiers autour des contrats de combustibles et de retraitements actuels, mais peut-être que la peur de perdre des « marchés » et de passer pour des amateurs, avec le risque de prendre du retard sur la « concurrence » peut aider, mais il faut communiquer!

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      • A mon échelle en tous cas:
        En reprenant des études de physique/chimie/ingénierie du nucléaire pour essayer d’assumer être un « évangéliste » éclairé.
        En se documentant le plus possible autour des projets en cours, partout où ceci est possible.
        En communiquant de manière active, dans le but d’atteindre les décisionnels français et étrangers et d’essayer de s’assurer qu’ils ont au moins connaissance de ce domaine actif de la recherche, de son historique et de ses possibilités.

        PS: la conférence ThEC13 au CERN m’a laissé un drôle de souvenir sur l’engagement des parties françaises et d’Areva, en particulier. Ceci explique probablement mon humeur sur votre post.

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