MSFR – suivi de charge et sûreté

Le réacteur nucléaire rapide à sels fondus, ou MSFR (pour Molten Salt Fast Reactor) est étudié par le CNRS au Laboratoire de Physique Subatomique & Cosmologie (LPSC) à Grenoble.

Le combustible liquide de ce réacteur apporte une simplicité de conception et une sécurité intrinsèque, avec une grande flexibilité d’opération qui serait très complémentaire avec les énergies renouvelables, pour les problèmes de suivi de charge.

Suivi de charge

Noël 2015 – Renouvelables : une production intermittente allant du simple au triple. Cliquez sur l’image pour visiter le site du Réseau de Transport d’Électricité, avec des données en temps réel.

Dans le domaine de la production d’électricité, on appelle suivi de charge la pratique qui consiste à faire varier la puissance de fonctionnement d’une centrale de façon à l’adapter aux variations de la demande. Plus on produit de l’électricité avec des sources renouvelables non dispatchables comme le solaire et l’éolien, plus les autres sources dispatchables doivent s’adapter rapidement pour suivre la charge globale des consommateurs.

Pour les centrales nucléaires actuelles, un changement de puissance trop rapide peut endommager les crayons de combustible solide. En fonction du type de réacteur le changement de régime est limité à 1% – 5% de la puissance maximale par minute.

Un réacteur à sels fondus n’a pas les mêmes limitations – son combustible est un liquide. Pour illustrer la capacité de suivi de charge du réacteur MSFR, l’équipe CNRS à Grenoble a realisé des calculs de couplage neutronique et thermohydraulique sur des segments d’1/16ème du cœur, chacun avec leur unité de pompe / échangeur.

Calcul neutronique et thermohydraulique

En effet, la performance neutronique du réacteur est impactée par les changements thermo-hydrauliques, et sa performance thermo-hydraulique est impactée par les changements neutroniques. Les calculs et simulations font partie de la soutenance de thèse d’Axel LAUREAU, présentée le 16 octobre 2015.

Une variation de puissance de 33% en une minute a été simulée. On demande au réacteur de passer d’une puissance de 2GW à 3GW en 60 secondes – ce sont les lignes rouges dans l’image ci-dessous.

Suivi de charge

Dans chaque illustration colorée en bas de l’image, on observe deux fois 1/16ème du cœur : à gauche la distribution de puissance produite dans le combustible liquide, et à droite la distribution de température.

Grâce à la propriété de contre-réaction forte du combustible liquide, le réacteur se comporte très bien et en toute sécurité lors de cette transition. Une réduction de puissance rapide de 3GW à 2GW en 60 secondes est également illustrée, par les lignes bleues.

Cette méthode de calcul permet d’aller plus loin et de simuler des scénarios accidentels, pour évaluer la sûreté du réacteur. Dans les vidéos suivantes un incident de sur-refroidissement et un incident d’insertion de réactivité sont illustrés. ATTENTION ! Les échelles de temps sont logarithmiques !

Dans cette simulation le réacteur est initialement dans un état stable avec une faible puissance de 0,1GW (100MW). L’incident simulé est un sur-refroidissement par le circuit intermédiaire, où la température du sel dans ce circuit est instantanément modifiée pour représenter une puissance extraite de 3GW – un événement peu probable considéré comme un cas enveloppe.

La marge à la criticité prompte est de -125pcm (=0.125%), elle représente la contribution des neutrons retardés à la réaction en chaine, et correspond à la réserve de réactivité insérable avant que les neutrons prompts ne pilotent seuls et abruptement la réaction en chaine. Pour éviter cette situation de sur-criticité prompte, on doit rester en-dessous de la ligne de 0 pcm.

Le sel combustible dans l’échangeur est refroidi. Il est transporté par la pompe et vers 0,5 secondes ce sel refroidi commence à rentrer dans le cœur du réacteur, ce qui augmente la réactivité. Vers 1,0 secondes, la puissance commence à monter, ce qui fait monter la température du sel. La dilatation du liquide contribue à réduire la réactivité, et cette contre-réaction est bien supérieure à l’effet du sur-refroidissement : après 1,5 secondes la réactivité atteint un pic avant de redescendre vers son état initial de -125 pcm. Après 3 secondes, la puissance commence à se stabiliser sur la puissance extraite de 3GW.

Conclusion : très bonne capacité du réacteur à compenser un incident de sur-refroidissement de 0,1 à 3GW.

Dans cette simulation le réacteur est initialement dans un état stable de production d’énergie, à sa puissance nominale de 3GW. L’incident simulé est une insertion de réactivité de 1000 pcm (1 pcm = 1 pour cent mille soit 1% ici) en 1 seconde – un événement peu probable considéré comme un cas enveloppe.

La marge à la criticité prompte est de -125pcm (=0.125%), elle représente la contribution des neutrons retardés à la réaction en chaine, et correspond à la réserve de réactivité insérable avant que les neutrons prompts ne pilotent seuls et abruptement la réaction en chaine. Pour éviter cette situation de sur-criticité prompte, on doit rester en-dessous de la ligne de 0 pcm.

Quand on commence à insérer de la réactivité, la puissance et donc la température commencent à monter. Mais comme le combustible est un liquide il se dilate, ce qui contribue à réduire la réactivité. Cette contre-réaction permet de compenser parfaitement l’insertion de réactivité. Après 0,1 secondes la réactivité atteint un pic avant de redescendre vers son état initial de -125 pcm.

Conclusion : très bonne capacité du réacteur à compenser une insertion rapide de réactivité.

 

6 réflexions au sujet de « MSFR – suivi de charge et sûreté »

  1. Comme d’habitude vos exposés sont parfaits !

    J’ai une question à vous poser : le thorium se prête il à des centrale de moindre puissance, disons inférieur à 100Mw ?

    Tous mes vœux pour une excellente année 2016

    Jean-Louis Guignard

    51 rue des Loges 78600 Maisons-Laffitte

    GSM : +33(0)6 1434 4413 Email : jlguignard@dbmail.com

    Skype : jean-louis.g

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    • Merci pour vos mots gentils.

      L’intérêt des réacteurs de moindre puissance est de situer le système d’énergie nucléaire en dessous de certains seuils technologiques. Cela peut être par exemple la possibilité de fabriquer le réacteur en usine, de transporter des composants par camion, de refroidir par l’air, de satisfaire aux besoins d’un marché d’énergie spécifique ou d’adopter une architecture qui gère mieux la chaleur résiduelle.
      Pour chaque technologie spécifique il y a un point d’équilibre entre les économies offertes par ces opportunités et les déséconomies d’échelle d’avoir un système qui génère moins de puissance. Pour les réacteurs à sels fondus, il est probable que la décision sur l’utilisation totale ou partielle du cycle de combustible au thorium sera un facteur qui intervient pour déterminer le point d’équilibre idéal.
      Il est intéressant de noter que Terrestrial Energy vise trois tailles de réacteurs IMSR, 80 mégawatts thermiques (MWth), 300 MWth et 600 MWth. Pour l’instant, ils ne se sont pas encore prononcé sur l’utilisation ou non du thorium…

      Meilleures voeux pour une année 2016 riche en innovation nucléaire !

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  2. Bonjour,
    En tant que professeur de mathématiques, je souhaiterais rédiger un problème axé sur le réacteur au thorium, réacteur du futur. Votre site m’a permis de m’informer sur ce sujet, et je vous en remercie. Pourriez-vous me donner une précision : quelle est la durée estimée (même approximative) d’un réacteur sels fondus à neutrons rapides ? Et si possible, son rendement
    Vous en remerciant,
    Alexandre

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    • Bonjour,
      Il faut d’abord comprendre que les réacteurs à sels fondus sont une famille technologique, dans laquelle il existe plein de concepts qui sont très différents, notamment sur la durée de vie.
      Pour le réacteur MSFR, le coeur n’est pas remplaçable comme d’autres concepts, en fonction de l’usure des composants par le flux de neutrons. On peut partir sur une cible durée de vie de 40 ans comme pour les autres réacteurs du parc français.
      En termes de rendement, le MSFR ayant un fonctionnement en surgénération, la quantité de combustible utilisée est très faible – comptez de l’ordre de 1 tonne de thorium pour 1 GW année d’électricité (avec un rendement de la machine thermique qui serait entre 45% et 50% avec une temperature de fonctionnement plus élevée, autour de 700°C).
      Plus d’information sur le paramétrage du MSFR ici (page 5).

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      • Bonjour,
        Je vous remercie pour toutes ces précisions. Le dossier sur le paramétrage du « MSFR » est intéressant mais assez complexe… Sur la dernière page (p 32), l’expression « associated grace period » m’interpelle. Et qu’est-ce qui se passe si la « grace period » est dépassée ?
        N’y a-t-il pas une inversion entre les lignes 4 et 5 de la colonne « System failure » ?
        Cordialement,
        Alexandre

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