A l’assemblée nationale, lors de la 2ème séance publique du 22 février 2018 (questions sur la stratégie de sortie du nucléaire), Benoit Potterie, député de la huitième conscription du Pas-de-Calais, a posé une question sur les réacteurs à sels fondus et le thorium à Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire :
Ci-après, la transcription de cet échange :
M. Benoit Potterie.
Le Gouvernement a annoncé un ensemble de mesures visant à préparer la sortie du nucléaire. Dans un contexte de croissance exponentielle des besoins énergétiques mondiaux, nous devons trouver et développer de nouvelles sources d’énergie.
Ma question concerne une source d’énergie peu connue, mais dont on parle de plus en plus dans les médias spécialisés : le thorium, et plus précisément, son utilisation dans des réacteurs nucléaires à sels fondus.
On connaît le thorium depuis le XIXe siècle. Marie Curie avait identifié ses propriétés radioactives en 1898. Pour différentes raisons, les États et les industriels ont privilégié les réacteurs à uranium. Mais aujourd’hui, le risque nucléaire et les traumatismes de Tchernobyl et Fukushima, ainsi que la complexité de la gestion des déchets nucléaires, nous incitent à nous détourner de l’uranium.
Selon Daniel Heuer, directeur de recherches au CNRS, les réacteurs à sels fondus utilisant le thorium seraient moins dangereux et moins sales que les réacteurs actuels, avec un rendement plus important. Cette technologie, vous en conviendrez, est très prometteuse. Elle l’est d’autant plus pour la France que notre pays possède du thorium en grande quantité. Un récent article, que je pourrai vous transmettre, affirme que nous en aurions suffisamment pour couvrir nos besoins énergétiques pendant deux siècles.
Le gouvernement chinois finance actuellement un projet de réacteurs à sels fondus dans le désert de Gobi, et les Pays-Bas ont développé un programme de recherche sur le sujet à Petten.
Je me permets donc de déplacer le débat de la sortie du nucléaire vers le recours à une technologie nucléaire plus propre – un nucléaire vert, en quelque sorte.
Bien sûr, la technologie des réacteurs à sels fondus ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique. C’est pourquoi des phases de recherche et d’expérimentation sont nécessaires.
Ma question est donc la suivante : le Gouvernement entend-il, à moyen ou à court terme, renforcer la recherche dans ce domaine ?
Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Nicolas Hulot, ministre d’État.
Pour être très honnête, j’en avais entendu parler mais je ne m’étais pas vraiment penché sur cette technologie, sur laquelle vous m’avez alerté bien avant ce débat.
Si ce que vous dites est totalement fondé, il faudrait alors construire une filière nouvelle, car la filière actuelle ne peut pas intégrer cette technologie.
Étant convaincu que la diversité des énergies renouvelables permettra de répondre largement à nos besoins énergétiques, je ne pense pas que ce soit la peine de s’engager dans cette voie.
Au-delà, les réacteurs à sels fondus utilisant du thorium pour la production d’électricité nucléaire présentent, vous l’avez dit, des avantages certains, notamment en raison de l’abondance de la ressource en thorium, de la facilité offerte d’un retraitement en continu du combustible liquide et d’une moindre production de déchets. Cela dit, ils présentent aussi des inconvénients en termes de démonstration de sûreté et en raison de l’impossibilité d’amorcer un cycle thorium sans disposer d’uranium 235 ou de plutonium, dans la mesure où le thorium n’est pas un matériau fissile.
En outre, la faisabilité industrielle d’un réacteur de puissance n’est pas démontrée, et les études demeurent jusqu’à présent, il faut bien le reconnaître, très conceptuelles. Comme vous l’avez évoqué, des expérimentations ont bien eu lieu dans les années 1950 aux États-Unis, mais la possibilité de passer à un réacteur de puissance n’a jamais été établie. Enfin, il n’existe pas d’étude comparative suffisamment étayée pour pouvoir juger de l’attractivité économique d’une telle source d’énergie.
En l’absence d’identification de bénéfices déterminants qui seraient apportés par le cycle thorium, mais aussi parce que la France dispose, je le répète, d’une réserve importante d’uranium appauvri qui pourrait permettre, le cas échéant, d’alimenter des réacteurs à neutrons rapides à combustible solide, dont la maturité technologique est bien plus élevée que celle des réacteurs fonctionnant sur le cycle thorium, l’opportunité de changer de cycle de combustible nucléaire à court terme n’est, de mon point de vue, pas démontrée.
Liens : source de la vidéo, source de la transcription
Voir aussi : DGEC – Réacteur à neutrons rapides et à sels fondus et cycle thorium