Leó Szilárd était physicien. Le 12 septembre 1933, il a eu une idée remarquable : la réaction en chaîne nucléaire. Enrico Fermi était physicien aussi. Il a dirigé une équipe qui a conçu et construit le premier réacteur nucléaire dont la criticité a été atteinte le 2 décembre 1942. Les accomplissements intellectuels stupéfiants de ces hommes et de beaucoup d’autres physiciens ont fait entrer l’humanité dans l’ère nucléaire.
Le projet Manhattan a jeté les bases de la philosophie de conception pour la première époque de cette ère nucléaire. Les physiciens ont élaboré et prouvé mathématiquement la nouvelle science fascinante de la neutronique, et ainsi ils devinrent les concepteurs des premières bombes nucléaires. Une armée de personnes d’autres disciplines scientifiques et techniques a travaillé pour fournir les matériaux pour les construire; les bombes ont fonctionné, et la Seconde Guerre mondiale a pris fin. Les physiciens étaient des héros.
Cette philosophie de conception ‘gagnante’ a ensuite été appliquée à l’utilisation pacifique de la fission nucléaire pour la production d’énergie. Les physiciens allaient concevoir le réacteur; les autres métiers allaient concevoir un système d’énergie nucléaire autour de ce réacteur.
Dans la première époque nucléaire, la fission, c’est la physique.
Le champion de la première époque nucléaire est le Physicien de Réacteur.
Le système d’énergie nucléaire comprend toutes les activités, l’équipement, les métiers et les ressources associés à la production d’énergie nucléaire. Par exemple : l’extraction, le broyage, le transport, l’enrichissement, la fabrication du combustible, la fabrication des installations, l’irradiation, la conversion d’énergie, l’entretien, le retraitement, l’isolement géologique, soit tout ce qui se passe entre le moment où le combustible est déterré et le moment où les déchets n’ont plus de radioactivité significative.
On pensait que la densité d’énergie énorme de l’uranium – environ 1 million de fois supérieure à celle des combustibles fossiles – serait suffisante pour assurer que l’énergie nucléaire devienne le principal moyen de production d’énergie sous quelques décennies, même si le concept de réacteur qui a été choisi pour le déploiement a donné lieu à un système d’énergie qui n’était pas en fait très efficace, ou sûr, ou propre, ou durable, ou bon marché …
Dans de nombreux pays, les systèmes d’énergie nucléaire ont été imposés à la population par les gouvernements. L’énergie électrique générée a apporté d’énormes avantages, mais les critiques publiques ont été largement ignorées, la communication a été très mauvaise, et la méfiance a grandi, alimentée par les groupes environnementaux et les lobbies des combustibles fossiles.
Aujourd’hui, 435 centrales nucléaires fournissent environ 11% de l’électricité mondiale, mais les progrès ont décroché à un moment où, plus que jamais, le monde a besoin d’énergie abondante sans émission de gaz à effet de serre.
L’échec de la première époque nucléaire est sa philosophie de conception.
Dans un monde qui est largement, et de plus en plus, démocratique et axé sur le marché, se préoccuper d’abord de la technologie et seulement ensuite des besoins clients est une stratégie défectueuse. Les gens veulent consommer une énergie qui est fiable, bon marché, sûre, durable et propre. Il est essentiel de commencer par une compréhension profonde et fondamentale de ces besoins clients avant même de commencer à réfléchir à la façon d’y répondre.
Depuis plus de 60 ans, nous concevons la mauvaise chose. Pour entrer dans la deuxième époque de l’ère nucléaire, un changement de paradigme est nécessaire. Nous devons arrêter de concevoir des réacteurs, et réfléchir en premier lieu à la conception du système d’énergie nucléaire dans son ensemble. Evidemment, ces systèmes auront un réacteur nucléaire en tant que composant très important. Mais la preuve d’améliorations importantes dans tous les domaines des besoins clients est un prérequis à la conception détaillée du réacteur. Agir différemment est un gaspillage de ressources scientifiques et techniques.
La récente conférence internationale ThEC13 sur l’énergie du thorium au CERN à Genève a examiné trois approches pour extraire l’énergie du thorium :
Concernant les systèmes pilotés par accélérateur, on a longuement discuté des avantages potentiels de la conception de réacteurs plus sûrs, durables et propres. Mais en choisissant d’ignorer le coût et la fiabilité, les physiciens qui travaillent sur ces concepts de réacteurs semblent perpétuer les échecs de la première époque nucléaire.
Dans un système d’énergie nucléaire, de nombreux métiers différents sont impliqués. La conception d’un système efficace nécessite donc une approche multidisciplinaire. D’importantes synergies sont possibles grâce à une étroite collaboration entre experts.
Dans la deuxième époque nucléaire, la fission sera repositionnée à l’interface entre la physique et la chimie.
Le champion de la deuxième époque nucléaire sera l’Architecte de Système d’Énergie Nucléaire.
Ce message sera sans doute peu apprécié par les physiciens, dont les contributions ont, après tout, été au cœur de progrès énormes pour l’humanité dans la première époque nucléaire. Mais au XXIème siècle, la lutte contre le changement climatique et la pauvreté énergétique pourrait bien dépendre de la volonté de la communauté des physiciens de partager la fission nucléaire avec d’autres métiers.
Images : Wikipédia, EDF
Une version de cet article en anglais est disponible ici.
« les bombes ont fonctionné, et la Seconde Guerre mondiale a pris fin. »
Article très intéressant à ce sujet :
http://www.slate.fr/story/73421/bombe-atomique-staline-japon-capituler
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