Architecte !

En janvier 2014, un article publié sur ce site a prédit que :

Le champion de la deuxième époque nucléaire sera l’Architecte de Système d’Énergie Nucléaire.

Illustrons cette idée – à quoi pourrait ressembler l’un de ces architectes atomiques ?

Architecte ! FR

Cette personne est dynamique et déterminée. Il va de l’avant, motivé par l’envie de satisfaire les besoins d’un client, et par l’énorme potentiel de l’atome pour résoudre le problème urgent du changement climatique.

Il est content parce qu’il a une vision de construire une machine qui sera un progrès pour l’humanité et pour la nature. Il porte des outils qui, utilisés ensemble, lui permettront d’atteindre cette vision.

Son client a besoin d’une technologie de rupture qui produira de l’énergie propre qui est moins chère que le charbon. Notre architecte n’est pas un grand expert de la physique, ni de la chimie, mais il sait comment réunir ces disciplines et d’autres pour illustrer, défendre et développer un concept équilibré de système d’énergie nucléaire, en termes de valeur, coût et temps, qui sera attractif pour les parties prenantes tels que le client et des investisseurs.

Dans sa façon de penser, il a rejeté certaines mythes et croyances de la première époque nucléaire, tel que l’idée que le nucléaire est spécial ou différent des autres industries, ou celle qui consiste à dire que les règles normales du marché ne s’appliquent pas au nucléaire. Il est ouvert à des solutions très différentes de la technologie traditionnelle, comme des réacteurs avec un combustible liquide à base de sels fondus qui lui permettent de profiter pleinement des outils dans ses deux boîtes.

Physique + Chimie > Physique

Ce n’est pas toujours facile pour lui de travailler avec ses collègues physiciens et chimistes. Les disciplines scientifiques sont surtout concernées par la recherche de propositions pour la création de valeur (pour un physicien de réacteur, le coût et le temps ne sont tout simplement pas son problème…). Mais comme c’est lui qui décide, il arrive à les sortir de leur monde dominé par la certitude de la connaissance scientifique, pour les emmener vers le monde de l’architecte, plongé dans le doute permanent du meilleur compromis entre valeur, coût et temps.


 

Le secteur de l’énergie nucléaire a un problème de gouvernance. Impressionnés par la neutronique, les politiques ont donné aux physiciens le pouvoir de décider quel concept développer. Des architectes seraient mieux placés pour défendre les intérêts des parties prenantes.

On a commencé par une prédiction – terminons par une autre :

La deuxième époque nucléaire débutera lorsque les politiciens transféreront le pouvoir des physiciens aux architectes.

Espérons que ce passage de pouvoir se passera dans de bonnes conditions.

 

Illustration : Alexia Laurie

UK flag Une version de cet article en anglais est disponible ici.

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Arrêtez de concevoir des réacteurs !

Leó Szilárd était physicien. Le 12 septembre 1933, il a eu une idée remarquable : la réaction en chaîne nucléaire. Enrico Fermi était physicien aussi. Il a dirigé une équipe qui a conçu et construit le premier réacteur nucléaire dont la criticité a été atteinte le 2 décembre 1942. Les accomplissements intellectuels stupéfiants de ces hommes et de beaucoup d’autres physiciens ont fait entrer l’humanité dans l’ère nucléaire.Equipe Chicago Pile 1

Le projet Manhattan a jeté les bases de la philosophie de conception pour la première époque de cette ère nucléaire. Les physiciens ont élaboré et prouvé mathématiquement la nouvelle science fascinante de la neutronique, et ainsi ils devinrent les concepteurs des premières bombes nucléaires. Une armée de personnes d’autres disciplines scientifiques et techniques a travaillé pour fournir les matériaux pour les construire; les bombes ont fonctionné, et la Seconde Guerre mondiale a pris fin. Les physiciens étaient des héros.

Cette philosophie de conception ‘gagnante’ a ensuite été appliquée à l’utilisation pacifique de la fission nucléaire pour la production d’énergie. Les physiciens allaient concevoir le réacteur; les autres métiers allaient concevoir un système d’énergie nucléaire autour de ce réacteur.

Dans la première époque nucléaire, la fission, c’est la physique.

Le champion de la première époque nucléaire est le Physicien de Réacteur.

Le système d’énergie nucléaire comprend toutes les activités, l’équipement, les métiers et les ressources associés à la production d’énergie nucléaire. Par exemple : l’extraction, le broyage, le transport, l’enrichissement, la fabrication du combustible, la fabrication des installations, l’irradiation, la conversion d’énergie, l’entretien, le retraitement, l’isolement géologique, soit tout ce qui se passe entre le moment où le combustible est déterré et le moment où les déchets n’ont plus de radioactivité significative.

Le système d'énergie nucléaire français

On pensait que la densité d’énergie énorme de l’uranium – environ 1 million de fois supérieure à celle des combustibles fossiles – serait suffisante pour assurer que l’énergie nucléaire devienne le principal moyen de production d’énergie sous quelques décennies, même si le concept de réacteur qui a été choisi pour le déploiement a donné lieu à un système d’énergie qui n’était pas en fait très efficace, ou sûr, ou propre, ou durable, ou bon marché …

Dans de nombreux pays, les systèmes d’énergie nucléaire ont été imposés à la population par les gouvernements. L’énergie électrique générée a apporté d’énormes avantages, mais les critiques publiques ont été largement ignorées, la communication a été très mauvaise, et la méfiance a grandi, alimentée par les groupes environnementaux et les lobbies des combustibles fossiles.

Démonstration anti-nucléaire

Aujourd’hui, 435 centrales nucléaires fournissent environ 11% de l’électricité mondiale, mais les progrès ont décroché à un moment où, plus que jamais, le monde a besoin d’énergie abondante sans émission de gaz à effet de serre.

L’échec de la première époque nucléaire est sa philosophie de conception.

Dans un monde qui est largement, et de plus en plus, démocratique et axé sur le marché, se préoccuper d’abord de la technologie et seulement ensuite des besoins clients est une stratégie défectueuse. Les gens veulent consommer une énergie qui est fiable, bon marché, sûre, durable et propre. Il est essentiel de commencer par une compréhension profonde et fondamentale de ces besoins clients avant même de commencer à réfléchir à la façon d’y répondre.

Depuis plus de 60 ans, nous concevons la mauvaise chose. Pour entrer dans la deuxième époque de l’ère nucléaire, un changement de paradigme est nécessaire. Nous devons arrêter de concevoir des réacteurs, et réfléchir en premier lieu à la conception du système d’énergie nucléaire dans son ensemble. Evidemment, ces systèmes auront un réacteur nucléaire en tant que composant très important. Mais la preuve d’améliorations importantes dans tous les domaines des besoins clients est un prérequis à la conception détaillée du réacteur. Agir différemment est un gaspillage de ressources scientifiques et techniques.

La récente conférence internationale ThEC13 sur l’énergie du thorium au CERN à Genève a examiné trois approches pour extraire l’énergie du thorium :

Systèmes pour extraire l'énergie du thoriumConcernant les systèmes pilotés par accélérateur, on a longuement discuté des avantages potentiels de la conception de réacteurs plus sûrs, durables et propres. Mais en choisissant d’ignorer le coût et la fiabilité, les physiciens qui travaillent sur ces concepts de réacteurs semblent perpétuer les échecs de la première époque nucléaire.

Dans un système d’énergie nucléaire, de nombreux métiers différents sont impliqués. La conception d’un système efficace nécessite donc une approche multidisciplinaire. D’importantes synergies sont possibles grâce à une étroite collaboration entre experts.

Dans la deuxième époque nucléaire, la fission sera repositionnée à l’interface entre la physique et la chimie.

Le champion de la deuxième époque nucléaire sera l’Architecte de Système d’Énergie Nucléaire.

Fission interface physique chimie

Ce message sera sans doute peu apprécié par les physiciens, dont les contributions ont, après tout, été au cœur de progrès énormes pour l’humanité dans la première époque nucléaire. Mais au XXIème siècle, la lutte contre le changement climatique et la pauvreté énergétique pourrait bien dépendre de la volonté de la communauté des physiciens de partager la fission nucléaire avec d’autres métiers.

Images : Wikipédia, EDF

UK flag Une version de cet article en anglais est disponible ici.