Le Réacteur à Sels Fondus Simple

L’entreprise britannique Moltex Energy LLP a été créée fin 2013 pour développer un nouveau concept de réacteur à sels fondus pratique, sûr et bon marchéRSF Simple

Et derrière ce concept il se cache une histoire :

À la fin de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis étaient dans une course à l’armement nucléaire. C’était une priorité nationale de produire non seulement les bombes, mais aussi les moyens de livrer ces bombes à leurs cibles. Les missiles balistiques intercontinentaux n’existaient pas encore, la marine américaine commençait son programme de développement de sous-marins à propulsion nucléaire, mais l’armée de l’air était bien embêtée : un bombardier alimenté par le kérosène a une autonomie plutôt limitée. Que faire ? Évidemment, il n’était pas question de laisser la marine devenir la seule force nucléaire militaire !

L’armée de l’air américaine a demandé au Laboratoire National d’Oak Ridge (ORNL) de travailler sur un concept de bombardier à propulsion nucléaire, un avion capable de rester dans l’air pendant de longues périodes de temps afin d’assurer une force de dissuasion nucléaire aérienne permanente.

C’était une idée folle. Mais les scientifiques d’ORNL voyaient plus loin. Un financement militaire permettrait de travailler sur des concepts d’énergie nucléaire avec des combustibles liquides, avec des bénéfices potentiels énormes pour l’humanité. Et donc ils ont démarré le programme « Aircraft Reactor Experiment » (ARE – expérience de réacteur pour avion).

LE RÉACTEUR QUE OAK RIDGE VOULAIT FAIRE DÈS LE DÉBUT

Un article publié dans le journal « Nuclear Science and Engineering » en 1957 explique que dans la phase de conception de ce programme :

« Le premier concept incorporait un combustible de sel de fluorure statique […] Un effort considérable a été mis dans la conception de ce réacteur, mais dans un temps relativement court la conception a encore été modifiée en raison de certains problèmes très difficiles associés avec le combustible liquide statique. La principale difficulté, qui a nécessité un changement dans la conception, a été le gradient thermique radial prohibitif dans le combustible liquide. […] En fait, afin d’obtenir des sorties de haute puissance raisonnables avec des flux de refroidissement raisonnables, la température au centre du combustible serait dangereusement proche du point d’ébullition du combustible. […] Une solution à ce problème de gradient thermique a semblé être la circulation du combustible avec un écoulement turbulent à un échangeur de chaleur, de sorte que le mécanisme pour enlever la chaleur du combustible ne dépendrait pas de la conductivité thermique du combustible. […] Par conséquence, le concept de combustible statique a été abandonné, et les travaux ont commencé sur la conception d’un réacteur de haute température avec combustible en circulation. »

En synthèse : les tubes statiques, ça ne marche pas. Il est impossible d’enlever la chaleur et ça chauffe trop. Il faut une pompe pour faire circuler le combustible liquide.

Et dès lors, tous les réacteurs à sels fondus construits (ARE, MSRE) ou imaginés (MSFR, LFTR, L-TMSR, IMSR …) ont employé un combustible liquide en circulation permanente.

Jusqu’au jour où Ian Scott, un scientifique et inventeur britannique, se penche sur la question d’une énergie nucléaire sûre et bon marché. Sans consulter la littérature, il se met à inventer des dizaines de concepts de réacteurs les plus simples possibles. Comme toujours dans ce genre de processus il y avait du bon et du mauvais, mais petit à petit un concept commence à sortir du lot – un réacteur avec un combustible liquide à sels fondus dans des tubes statiques.

TUBES STATIQUES AVEC FLUX DE CONVECTION

Convaincu par les avantages de ce concept pour simplifier le réacteur et le rendre moins cher et plus sûr, Ian Scott commence à rechercher dans la littérature, et tombe assez rapidement sur l’article des scientifiques d’ORNL. Mais il remarque que leurs calculs et conclusions sur l’échauffement du combustible dans les tubes étaient basés uniquement Convection dans tubessur l’évacuation de la chaleur par conduction.

Un fluide ne reste pas statique quand il est chauffé. La convection du liquide devait certainement contribuer à distribuer la chaleur entre le centre des tubes et les parois.

Alors pourquoi les scientifiques d’ORNL n’avaient pas calculé l’effet de la convection ? Et bien, dans les années 1950 il n’y avait pas d’ordinateurs. La science de la mécanique des fluides numérique n’existait pas. Ils n’avaient tout simplement aucun moyen pour faire ce calcul.

Ian Scott décide donc de faire appel aux services de Wilde Analysis Ltd. Un maillage avec le logiciel ANSYS et un calcul avec le logiciel FLUENT ont démontré qu’avec la conduction seule, le point d’ébullition du sel était effectivement rapidement atteint, mais qu’avec la conduction ET la convection, en fonction du diamètre des tubes la température restait tout à fait gérable.

Sels dans tubes conduction convection

Il s’est associé avec John Durham, qui est par ailleurs président de Alvin Weinberg Foundation à Londres, pour former Moltex Energy LLP, un partenariat à responsabilité limitée, dans le but de faire un développement sérieux de cette technologie au Royaume-Uni, ou à défaut d’exploiter la propriété intellectuelle. Le 11 avril 2014 une première présentation publique a eu lieu à Manchester lors d’une conférence sur l’énergie nucléaire durable de l’institut britannique des ingénieurs chimiques (IChemE).

Vous trouverez ci-dessous un extrait de la présentation de Manchester, avec la traduction française du plan de conception actuel. La prochaine étape sera un contrat avec Atkins Ltd. pour affiner cette conception et évaluer son coût.

Plan de conceptionLes travaux de Moltex Energy sont en train d’ouvrir toute une branche de la technologie de fission nucléaire qui est restée fermée pendant des décennies – celle des combustibles liquides statiques.

Comme le dit Bill Gates, un grand supporteur de l’innovation dans le nucléaire : « Dans presque tous les domaines, les logiciels de simulation changent le terrain de jeu ».

En revisitant certaines décision prises au milieu du 20eme siècle, avec les outils à notre disposition au début du 21eme, il y a certainement d’autres innovations possibles, d’autres branches à explorer, et encore plus de valeur à ajouter pour l’humanité.

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