L’émergence internationale des réacteurs à sels fondus n’est pas uniquement une course technologique.
La particularité de cette famille de technologies, avec leurs combustibles nucléaires liquides, est qu’elle offre le plus de potentiel pour faire progresser la production d’énergie décarbonée dont les humains ont plus que jamais besoin, parce que sa sûreté intrinsèque permet de simplifier la conception, sa haute température permet de mieux valoriser l’énergie produite, et elle est plus vertueuses dans la gestion du cycle de combustible.
C’est le Graal.
Mais c’est aussi la famille qui a reçu le moins d’investissement pour son développement et qui a donc aujourd’hui moins de maturité que les autres familles technologiques.
Les grands acteurs dans la course n’ont pas la même idéologie. Chacun a un avis sur la meilleure manière de dépenser l’argent nécessaire pour faire émerger cette technologie.

La Chine était le premier entrant dans la course, en 2011. Elle a démarré son premier prototype en octobre 2023, et nous avons appris cet été que le réacteur TMSR-LF1 sur le campus de Wuwei est un succès qui sera suivi par un deuxième prototype, 30 fois plus puissant, dont la construction démarrera en 2025.


Ce nouveau réacteur de recherche sera accompagné d’un centre de recherche sur les sels combustibles à base de thorium, et d’un générateur de 10MW d’électricité utilisant un cycle de CO2 supercritique. A partir de 2030, la Chine commencera à construire des réacteurs modulaires commerciaux d’une capacité de production électrique de 100 MW ou plus.
Bien évidemment, l’organisation et le financement du projet chinois sont entièrement étatiques.
En Amérique du Nord (sans compter les efforts pionniers des canadiens, rapidement écrasés par la force politique de leur grand voisin), les États-Unis se sont réveillés quelques années après les chinois au potentiel de cette technologie qu’ils ont inventée dans les années 1950. Ils ont adopté une organisation libérale, en encourageant des start-ups avec une rhétorique de plus en plus positive, et des aides d’état ciblées pour faire levier sur le financement privé. C’est ainsi que des entreprises comme TerraPower (Bill Gates), Kairos Power ou Natura Resources avancent avec des prototypes de différents concepts de réacteurs à sels fondus.

Pour développer et industrialiser une nouvelle technologie d’énergie nucléaire il faut avoir les reins solides. Qui sera le gagnant de cette course ? Quelle idéologie, étatique ou libérale, est la mieux adaptée à faire émerger une technologie de rupture, capable de concurrencer les énergies fossiles avec un équilibre gagnant de valeur, coût et temps ?
En Europe, ce sont des questions qui dérangent. Et surtout en France, où depuis toujours l’énergie nucléaire est une affaire d’état. Quand Emmanuel Macron a annoncé en février 2022 que « le CEA appuiera et accompagnera la montée en puissance des start-ups » il a envoyé dans le secteur nucléaire une onde de choc qui se propage toujours. Une couleuvre que certains trouvent trop grosse à avaler.

L’article publié ce matin dans Le Point est symptomatique de ce malaise. En amont d’un Conseil de Politique Nucléaire le 10 décembre 2024 qui doit prendre position sur les technologies (et donc les entreprises) qui seront soutenues, un « conseiller du pouvoir » déclare, comme le dernier cri d’un géant mourant, que « seul l’État peut assumer une recherche sur le long terme dans ce secteur stratégique ».
Il est temps d’arrêter définitivement ce questionnement idéologique en France. Les humains et la nature ont besoin de nouvelles technologies nucléaires plus performantes, et la famille des réacteurs à sels fondus se démarque des autres par son potentiel.
La course sera gagnée par celui qui soutient l’ambition et la vraie innovation. La production d’énergie décarbonée de demain peut être française. Ou elle peut adhérer à une idéologie chinoise. Ou américaine.
Le conseiller du pouvoir a raison quand il dit que « Le président va devoir prendre une décision ».












